Philosophie - Entre Espérance et Responsabilité, Louis Ledonne

 

Deux ouvrages philosophiques du dernier demi-siècle ont une portée exemplaire, tant ils reflètent bien les états d’esprit de deux générations successives. En parlant en 1979 d’un Principe Responsabilité Hans Jonas s’opposait terme à terme au Principe Espérance, le livre majeur d’Ernst Bloch, rédigé pendant la guerre, maintes fois repris et finalement publié en 1959.

 

Le livre de Jonas se présentait comme une éthique pour une civilisation technologique et son accord avec l’inquiétude écologiste est si profond qu’il s’est fait l ’écho d’un air du temps en attente de sa formulation philosophique. A fortiori depuis que l’exigence de lutte contre le réchauffement climatique est unanimement reconnue ; au moins en parole, cette thématique peut être tenue pour une des idéologies officielles de notre temps.

 

Hans Jonas avait choisi de prendre le contrepied du Principe Espérance de Bloch, dont la pensée est plus éloignée des évidences désormais reçues. Il serait bon cependant de retrouver le chemin de celle-ci car elle peut s’avérer précieuse pour notre temps.

 

En fin lecteur de Hegel, Bloch, penseur communiste et sincère dans ses convictions, sait que ce qui se passe pour une rêverie abstraite, pour ce que l’on a coutume d’appeler un idéal (ou une utopie dans un autre registre), peut avoir une autre dimension. Il appelle « utopie concrète », l’intérêt porté aux possibles non réalisés dans lesquels l’humanité peut voir une espérance.

 

A chaque moment du temps, la réalité pouvait, du moins pour une part, être autre qu’elle n’est devenue. Bloch insiste sur l’effort de penser les possibles. Tout n’est pas possible à tout moment et en tout lieu mais un certain nombre de possibles ne se sont pas réalisés.

 

Dans ses Souvenirs, Jonas raconte sa première et hélas sa dernière rencontre avec Bloch. Il nous est aisé de comprendre qu’ils aient pu se parler avec fruit malgré leurs divergences.

La différence de ces deux philosophes marque aussi notre temps. Bloch fut un des inspirateurs de la mouvance de mai 68 et Jonas, au moment où s’éteignait celle-ci, publiait le Principe Responsabilité, dans lequel il s’en prenait aux naïvetés de cet utopisme, largement partagé par la jeunesse occidentale.

 

La question n’est pas de savoir si l’écologisme serait plus ou moins justifié que l’utopisme de la génération précédente. Dans un cas comme dans l’autre, l’air du temps est tout autre chose qu’une simple mode.

 

Que l’état de la planète appelle au type de responsabilité que prône Jonas, il faudrait être inconscient pour le nier. Il n’est pas avéré pour autant que l’ouverture vers l’avenir que représentait l’utopisme de Bloch. Le trouble qu’il manifeste à propos de l’innovation technologique relativise la portée de la critique de son contemporain.

 

Il nous faut assumer notre responsabilité par rapport aux générations postérieures. Mais cela suppose aussi de prêter de nouveau l’oreille à ce que Bloch s’est efforcé de dire et de regarder l’avenir dans une perspective d’ « espérance », quitte à considérer la religion du point de vue de son dépassement possible.

 

Entre effondrement de l’espérance communiste, prônée par Bloch, et frénésie d’innovation technique et de consommation à outrance, notre époque voit revenir le religieux le plus massif et le plus borné.

 

A nous de voir, dans ces conditions ce qu’il peut en être pour nous de l’espérance et de l’utopie.

 

Nous n’avons plus de projets par manque d’espérance mais c’est par ce que nous n’avons plus d’espérance que nos projets sont en berne. 

 

 

 

Écrire commentaire

Commentaires: 0