Philosophie - Organisation d’une Assemblée citoyenne qui débattra de notre avenir et de nos institutions, Louis ledonne

Une société démocratique est une société autonome où les individus admettent que toute institution est contingente, c’est-à-dire le résultat de son histoire. Que la place de l’économie, les finalités assignées à la technique, l’éducation, la validité et la légitimité des normes relèvent de l’imaginaire instituant.

 

Les individus savent qu’ils sont à l’origine du sens et donc d’un système, même quand ils doivent le subir malgré eux. Pour parler comme Cornelius Castoriadis, la démocratie signifie la rupture de la clôture du sens ; elle signifie que le « pouvoir » central fondamental dans une société, le pouvoir premier dont tous les autres dépendent est le pouvoir instituant et que les individus sont prêts à assumer la responsabilité qui découle de cette reconnaissance.

Ainsi le politique trouve son sens lorsqu’il permet à une communauté humaine d’agir sur elle-même et de choisir la société dans laquelle elle désire vivre.

 

Malheureusement c'est de moins en moins le cas, et les mesures et les décisions politiques sont souvent contraires à la volonté des gens. La crise sanitaire du Covid n'a rien arrangé et n'a fait qu’accentuer cet état des choses. Il y a donc un fossé grandissant entre la perception des citoyens de leur vie en société et celle du monde politique censé les représenter. Ainsi les sujets, s’ils veulent redevenir citoyens, doivent prendre conscience de leur pouvoir instituant.

 

Cela requiert un éthos social fondé sur un sentiment d’appartenance à un même projet : rendre la société plus juste, plus prospère, plus solidaire et donc plus en harmonie avec elle-même.

Nous devons prendre conscience que vivre en société, ce n’est pas vivre les uns à côté des autres en recherchant chacun notre bonheur personnel, mais définir ensemble un projet et des valeurs communes.

Il n’y aura par conséquent de retour du politique que si nous retrouvons le sens du politique, c’est-à-dire permettre à une société d’agir sur elle-même.

Cette voie peut se dessiner par le biais d’une  « Assemblée citoyenne »[1] dont la mission est de restaurer la confiance des citoyens envers des institutions et des représentants dans lesquels ils pourront se reconnaître.

Une Assemblée qui serait reconnue à la fois par le monde politique et par les citoyens eux-mêmes. Ce débat inclut dès lors une refonte de notre modèle démocratique et de notre modèle institutionnel.

Il est évident que les citoyens auront tout loisir de proposer les sujets qu'ils estiment utiles au débat sur une plateforme destinée à cet effet et en amont de cette Assemblée. Le fruit du travail de cette dernière, qui sera la synthèse de plusieurs semaines, voire de plusieurs mois d'échanges et de réflexions intensives, pourra alors être soumis aux citoyens qui décideront ainsi de l’avenir qu’ils entendent se donner.

 

Cette Assemblée, telle que nous la représentons pourrait se caractériser par les six grandes lignes de force suivantes :

(1) La première est que cette Assemblée se veut porteuse d’une demande collective non partisane, non dogmatique et a comme prétention de garantir une action efficace car suivie dans le temps. Son objectif est de rendre confiance aux citoyens en solidarisant leurs actions vers une visée qui les transcende : un modèle de société basé sur le bien commun, la recherche de plus de justice sociale, la dignité et la considération de tout un chacun.

Ce « méta principe » ouvre la porte aux représentants venant de tous bords qu’ils soient acteurs du monde politique, économique ou de la société civile.

(2) La deuxième est que le tirage au sort des citoyens participant à cette Assemblée soit effectué selon la méthode de quotas, utilisée notamment pour les sondages d’opinion, permettant d’avoir une assez bonne image de la population. Elle sera la plus représentative possible de notre société que ce soit en termes de genre, d’âges, ainsi que des différentes catégories socio-économiques de notre pays. Il sera nécessaire de prendre le juste temps ( moins de deux mois ) pour composer ce panel citoyen.

Toutes les modalités liées à la mise en forme de cette Assemblée (durée des mandats, nombre de citoyens, outils adéquats pour obtenir l’information la plus précise, transparence des débats etc. . .) devront, bien sûr, se négocier en amont de sa constitution avec des citoyens mandatés et des représentants du monde politique favorables à ce projet.

(3) La troisième est le rôle central joué par cette Assemblée. Elle prendra l’initiative d’organiser des débats avec l’aide d’un Comité de pilotage ( ensemble des membres initiateurs de cette même Assemblée), de mandataires publics qui lui sont favorables et d’associations habilitées à organiser de tels évènements. Mais s’il est vrai que différentes personnalités et lobbys seront entendus lors de ces débats, c’est l’Assemblée elle-même qui les sélectionnera en concertation avec le Comité de pilotage.

(4) La quatrième est l’absence d’interférence gouvernementale dans le choix des sujets mis en débat par cette Assemblée, dans sa composition ou le choix des garants, dans celui des experts qui interviendront, ou encore dans le mode d’animation.

(5) La cinquième est que toutes les délibérations de cette Assemblée soient ouvertes et transparentes, autrement dit qu’elles devront être régulièrement relayées par les médias. Cela nous paraît essentiel afin d’éviter que les débats soient confisqués par un certain nombre de citoyens qui délibèrent entre eux.

(6) La dernière, et c’est là son ADN, est que le gouvernement s’engage par avance, et en amont des échanges de cette Assemblée, à suivre ses recommandations qui ont donc un effet contraignant. C’est-à-dire à respecter son choix de soumettre au référendum et au Parlement les propositions ou projets de lois auxquels elle aboutit.

 

[2]. Ce concept serait une bonne manière de combiner la démocratie délibérative et la démocratie directe.

 

Il est clair que le travail de cette Assemblée constituera, dans un premier temps, à émettre des propositions, des directives, à ouvrir des chantiers concernant les grandes orientations de notre vie en société : le débat autour de l’avenir institutionnel de notre pays (septième réforme de l’Etat) pourrait faire partie de ceux-là. Mais il est clair aussi que les enjeux climatiques : sauver l’eau, l’air, la terre, la biodiversité et les enjeux sociétaux relatifs à notre modèle de production et consommation devront aussi entrer en ligne de compte.

 

Sans oublier les défis posés par notre insertion dans une Europe qui doit reprendre son rôle de modèle sur le plan civilisationnel, là où elle a une carte à jouer dans une géopolitique basée essentiellement sur le commerce et la finance. Sauvegarde de nos modèles de démocratie, recherche permanente du bien commun, défis écologiques, numériques, énergétiques mais surtout défis de transition vers une société plus juste permettant l’accès à la connaissance au plus grand nombre seront les pierres angulaires de réflexion de citoyens ouverts à un « monde devenu commun ».

 

Nous sommes ainsi convaincus qu’il faille associer les citoyens et les acteurs de la vie politique, économique, sociale, culturelle etc . . . d’une manière inédite et imaginer avec eux, avec nous, les moyens d’en faire les réelles parties prenantes d’un processus large débouchant sur une démocratie participative et collaborative. Il n’y a de politique que si nous acceptons la possibilité de réunir des gens différents dans une entité qui les englobe, subordonnée à d’autres fins et d’autres valeurs que celles de l’utilité, ce qui suppose que ces gens puissent reconnaître la force morale du lien qui les unit . . .

 

 



[1] Cette proposition d’Assemblée citoyenne fait l’objet, à l’heure actuelle, d’un « mouvement » consistant en un regroupement de personnes, collectifs et associations freelance du Nord et du Sud du pays, animés du désir de privilégier l’intelligence collective à toute autre action, dans l’intérêt de la communauté. Ce mouvement a lancé une pétition à la fois au niveau du parlement et du gouvernement pour la mise en place d’une telle Assemblée.

 

[2] Ce concept serait une bonne manière de combiner la démocratie délibérative et la démocratie directe. Car, on le sait, dans la démocratie délibérative il y a toujours un écart entre ceux qui ont été tirés au sort et qui ont connu une transformation importante et le reste de la société qui n’a pas forcément suivi ce qu’ils ont fait.

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