Philosophie - Comment articuler la verticalité du pouvoir et les nouvelles formes d’horizontalité, Louis Ledonne

S’il est vrai que l’action des partis politiques est essentiellement rythmée par le souci des élections, la désignation des candidats, le choc des ambitions, les querelles d’ego, les rivalités d’appareil qu’elle induit, les scissions, les scandales, il faut admettre que la guerre permanente qui en résulte, telle qu’elle fait la une des journaux et le bonheur des commentateurs, n’est pas de nature à combler le désir de participation des citoyens. Elle perpétue un manque, dans lequel s’enracine la volonté citoyenne de participer autrement à la vie publique et de reprendre ainsi sa vie en mains.

 

Qu’est-ce que la rue, sinon la métaphore la plus parlante de ce lien horizontal, auquel, comme le rappelait Paul Ricoeur, il importe par-dessus-tout qu’il reste articulé au rapport d’autorité incarné par un rapport hiérarchique de commandement. Loin d’être perçue par le pouvoir vertical comme un empêcheur de gouverner, elle devrait lui apparaître , au contraire, comme l’une des conditions de son exercice.

 

L’affaire ne serait pas si grave si le lien horizontal n’était menacé lui-même, comme jamais, d’anomie et de déliaison. Ce qui a fondamentalement changé la donne est la puissance des réseaux sociaux et, plus précisément, la prolifération d’une « information » et de « commentaires » qui échappent à tout contrôle de véracité.

On pourrait sans doute considérer qu’il s’agit là d’un nouveau partage de la parole, ou encore d’un correctif de l’autorité, dont les nouvelles technologies du savoir et de l’information auraient signifié la fin du monopole. Pourtant, cette idéalisation de la Toile néglige deux phénomènes négatifs qui nuancent l’analyse qui précède et qui ne sauraient être passés sous silence.

 

Le premier phénomène tient à l’anomie qui découle nécessairement d’une horizontalité qui se veut affranchie de toute verticalité. Si tout un chacun peut s’exprimer comme il l’entend, au titre de son droit à « participer », toute règle disparaît quant à ce qui est dicible et à ce qui, au contraire, n’est pas admissible. Revendiquer pour toute parole le droit d’être libérée, au nom d’une participation égale de tous à l’expression commune, c’est ouvrir la boîte de Pandore, au risque assurément d’une confusion extrême, mais également d’une violence sans retenue.

 

Le mouvement des « gilets jaunes » constitue, dans un autre registre, un trait distinctif de cette participation horizontale : rien moins qu’une défiance partagée à l’encontre de toute délégation de la parole non seulement en direction des partis et des syndicats, mais en direction également des médias, suspectés d’être partie prenante de la partition contestée. Ce refus, bien idéalisé,  manifeste le dessein, souvent utopique, d’une horizontalité participative, affranchie de l’encadrement et des pressions de tout pouvoir vertical.

Le second phénomène, lié à la Toile, est le libre cours de  la haine et de la violence. Et la question posée est la suivante : comment rendre droit à la pluralité, constitutive de cette horizontalité (celle des opinions, des convictions, des croyances et même des préjugés), sans, du même coup, donner libre cours à l’outrage, aux insultes, si ce n’est à cet encouragement à détruire, auquel il arrive de convier dangereusement à l’appel au meurtre ? Faut-il, au nom d’une participation sans contrôle, payer l’anomie qui en résulte du prix d’une violence (au moins verbale) consentie ?

 

Cette anomie du lien horizontal,  parfois anarchique et explosive, tant elle ne se plie à aucune autorité, aucun pouvoir démocratique ne peut désormais faire mine de l’ignorer. Il y a cependant trois façons de la prendre en compte :

 

-        La première, redoutable, est mimétique : elle court, affolée, derrière les moindres soubresauts de l’opinion, sinon les dernières tendances de son humeur ; de crainte d’être déphasée. Qu’il s’agisse d’un part pris sélectif, nul n’en doute, car c’est toujours d’une partie de l’opinion et se son langage que cette mise en circuit, artificielle et provisoire, tient compte. Cette volonté exacerbée d’apparaître en phase avec les prétendus affects du « peuple », c’est l’obsession de tous les populismes nationalistes et xénophobes qui tendent à se multiplier sur tous les continents.

-        La deuxième façon de considérer l’anomie de l’opinion est technocratique. Elle consiste à l’ignorer, en considérant que la rationalité technique de l’exercice gouvernemental l’autorise à rester éloigné des passions supposées provisoires, particulières et partisanes. Autant dire qu’il s’agit là d’une position intenable.

-        C’est alors qu’il faut donner droit à une troisième façon de penser l’articulation entre verticalité et horizontalité. Elle corrige en partie le diagnostic quant à l’anomie du lien horizontal. Il n’est pas vrai que la société  se réduit à la confrontation entre un pouvoir vertical et des individus épars, liés les uns aux autres par les seuls réseaux sociaux.

La décrire ainsi, c’est faire injure aux mouvements associatifs qui organisent autrement le lien horizontal, en donnant droit à une exigence de solidarité et à un principe de fraternité qui transcendent le repli des communautés et les critères d’appartenance vindicatifs.

 

La contre-expertise des gouvernés, c’est la clef de la participation. Il n’est pas vrai que leur horizontalité se réduit à des individus animés du souci de défendre leurs intérêts propres et n’écoutant que leurs affects. Ce qui la caractérise au contraire est la multiplicité des réseaux et mouvements associatifs qui rassemblent des hommes et des femmes engagés, dans tous les domaines de l’existence (la santé, l’éducation, l’environnement, l’urbanisme, la précarité, l’immigration, etc.)

 

Cette troisième voie peut se dessiner davantage par le biais d’une  « Assemblée citoyenne » dont la mission est de restaurer la confiance des citoyens envers des institutions et des représentants dans lesquels ils pourront se reconnaître. Une Assemblée qui serait reconnue à la fois par le monde politique et par les citoyens eux-mêmes. Nous sommes ainsi convaincus qu’il faille associer les citoyens et les acteurs de la vie politique, économique, sociale, culturelle, etc . . . d’une manière inédite et imaginer avec eux, avec nous, les moyens d’en faire les réelles parties prenantes d’un processus large débouchant sur une démocratie participative et collaborative.

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