Philosophie - La question de taille - Ivan Illich, Louis Ledonne

Dans la réalité, la taille n’est pas un paramètre que l’on pourrait fixer à volonté : chaque être vivant n’est viable qu’à l’échelle qui est la sienne. En deçà ou au-delà, il meurt, à moins qu’il ne parvienne à se métamorphoser.

 

Il en va de même pour les sociétés et les cultures. La plupart des crises contemporaines (politiques, économiques, écologiques, culturelles) tiennent au dédain affiché par la modernité pour les questions de taille. Nous mesurons tout aujourd’hui, des volumes de transaction à la bourse aux taux de cholestérol, de la densité de l’air en particules fines au moral des ménages.

 

D'où la menace que décrivait Ivan Illich dans les années 1970, et avant lui Leopold Kohr (1957) : la « taille excessive » des superstructures que produit le capitalisme laissé à lui-même. Oligopoles économiques, casino financier, monstres urbanistiques, usine-à-gaz, réformes pseudo-sociétales, asservissement de l'école, fausses éthiques pour justifier le sans-limites . . .

 

Dans la société fabriquée par l'ultralibéralisme, les problèmes croissent plus vite que les moyens humains qui semblent nécessaires pour les traiter.

 

Mais plus nos sociétés se livrent à cette frénésie de mesures, moins elles se révèlent aptes à accepter la mesure, au sens de la juste mesure. Comme si les mesures n’étaient pas là pour nous aider à garder la mesure, mais, au contraire, pour propager la folie des grandeurs.

 

Qu'opposer à cela ? Un retour au réel. Redimensionner l'économie pour la remettre à taille humaine ! Sans une certaine commensurabilité entre l'expérience personnelle et l'échelle sociale, une existence humaine s'abîme dans le non-sens . . .

 

Olivier Rey souligne que, tout au long de l'Histoire, « le plus haut degré de civilisation s'accommode de tailles modestes »[1].

 

 Il note aussi, a contrario, que la dé-civilisation commence avec le gigantisme et l'anonymat individualiste : la délinquance « est beaucoup plus élevée dans les grandes sociétés que dans les petites ».

 

Contre la dérive de l'individu dans la foule solitaire, quelle garantie ? Le « sens de l'interdépendance, de l'appartenance, et d'un intérêt commun ». Exactement ce qu'a détruit le  nouvel esprit du capitalisme,   ce libéralisme orné de prétextes libertaires qui est à l'œuvre depuis quarante ans[2] .

 

Ce qu'on appelle alors « croissance », selon Olivier Rey, n'est qu'un euphémisme pour désigner le gonflement d'un ensemble occidental contre-nature, qui finira par exploser étant donné notre incapacité à rebrousser chemin tant qu'il est encore temps.

 

Prévision flippante s'indigneront de bons jeunes gens?  Lucidité bonne conseillère, répondront les esprits concrets. La catastrophe du système ne doit pas devenir la nôtre : ni mentalement, ni physiquement.

 

C’est en s’attachant à comprendre pourquoi  nous avons perdu cette mesure au cours des derniers siècles (industrialisation et mondialisation des échanges,  densification des espaces d’habitation favorisant les grandes villes au détriment des villages, communications à grande échelle . . .)  que nous pourrions retrouver les fondations nous permettant de mener une vie  authentiquement humaine.

 

Louis Ledonne

 



[1] Olivier Rey : « Une question de taille »

[2] Boltansky et Chiapello : « Le nouvel esprit du capitalisme »

 

Écrire commentaire

Commentaires: 0