Philosophie - L'Ethique de la considération, Louis Ledonne

  

La considération s'enracine dans l'humilité qui dépouille le sujet de tous les attributs conférés par la société et liés au rang. Elle met à nu l'individu et le rattache à tous les autres humains, le rendant égal aux autres et le liant, par sa chair, à tous les êtres qui sont nés et sont mortels.

 

L'humilité est le chemin qui mène à la connaissance de soi et à la vérité, le lieu de l'observation à partir duquel on peut avoir un œil sur la vérité. Elle mène à la compassion envers autrui car, conscient de ses faiblesses et de ses fautes,  on considère celle des autres avec une douceur qui n'a rien avoir avec l'indifférence ni avec une sensible indulgence.

Ainsi l'humilité n'est pas une vertu, elle est le socle de toutes les vertus. Sans elle il est permis de ne pas tomber dans la démesure. Enfin elle n'est pas seulement théorique  : elle est une épreuve essentielle au cours de laquelle l'individu fait l'expérience de ses limites et en souffre.

 

Ce rôle de l'humilité et ce lien entre la vérité , la recherche du bien et l'amour de l'autre sont essentiels dans la considération et la distinguent de la façon dont l'excellence humaine est conçue dans les morales antiques. Au lieu de penser que les vertus sont des manières d'être acquises une fois pour toutes et que la personne juste sera toujours juste ou que son courage ne sera jamais de la témérité, la considération implique de veiller à garder le sens de la mesure.

Comme dans les morales antiques encore, le rapport à soi est le point de départ du rapport aux autres, à la Cité et à la nature, mais dans cette éthique, le but de la transformation de soi n'est pas l'ataraxie et la suffisance à soi. Les émotions négatives dont les stoïciens disent qu'il faut s'affranchir doivent être acceptées et même traversées.

 

Ainsi par exemple l'idée que la tranquillité de l'âme ou l'équilibre serait le souverain bien et qu'il faudrait combattre la souffrance morale est une idée contestée dans cette approche de l'éthique des vertus.

Celle-ci est inséparable du désir de préserver le monde, voire de le réparer.

 

Parce que l'éthique de la considération implique le dépassement des dualismes humain/nature, esprit/corps, rationalité/émotions, individuel/collectif, elle est solidaire d'une philosophie de l'existence dans laquelle l'humain est penséedans sa corporéité. Elle se détache, dans cet aspect, du rationalisme pur et dur hérité des Lumières.   

 

Par ailleurs, toute éthique des vertus est un eudémonisme, l'éthique de la considération comme les autres. Aristote nous éclaire à ce propos quand il écrit que le bonheur est une activité de l'âme conforme à une vertu accomplie. Le bonheur n'est pas du au succès que l'on rencontre auprès des autres ni aux avantages liés à la possession de certains biens, comme la santé, l'honneur, le pouvoir, l'argent ou la beauté;  il accompagne une vie conforme à la vertu.

Pour Platon et Aristote, la vertu désigne un bien qui est honorable, et non seulement ce qui est louable ou bénéfique à la personne. Alors que la santé est un bien préférable et qui peut servir aussi à d'autres biens et que l'intelligence est un bien louable, que l'on peut admirer, la vertu vaut pour elle même et non en fonction de ce qu'elle procure aux individus qui la possèdent.

 

Le bonheur exige une vertu parfaite et une existence accomplie; il existe donc une objectivité du bien.

 

En ce sens l'éthique de la considération exige un engagement en faveur de la vérité, de la justice et du souci du monde; elle s'inscrit dans l'héritage des vertus d'inspiration platonicienne et aristotélicienne mais la dépasse.

Car au lieu d'être dépendante d'une conception métaphysique de l'homme et du monde, d'une théologie ou même d'une représentation de ce que peut être une vie réussie, elle s'appuyie sur une philosophie de l'existence, la vulnérabilité et la fragilité du corps humain témoignant d'un équilibre entre universalisme et historicité.

 

Il en est ainsi parce qu'elle est indissociable, par définition, de la valeur intrinsèque des êtres, du respect de leur altérité et de la diversité des formes de vie des cultures.

Et parce que la clef du rapport à soi est la clef du rapport aux autres, humains et non humains, à la politique, à l'économie et à la nature.

 

Et le souci du monde est la subjectivité de l'homme, pensée à partir de sa corporéité, des ses sens mais aussi de sa fragilité, de sa vulnérabilité  et non de la tradition.

 

Louis Ledonne

  

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