Philosophie - Entre démocratie et populisme, Louis Ledonne

 

 

L'Histoire est cumulative et non substitutive. Les savoirs s'accumulent, comme l'utilisation des ressources (le pétrole n'a pas remplacé le charbon, le nucléaire n'a pas remplacé le pétrole). L'esclavage n'a pas totalement disparu, ni l'exploitation, ni la colonisation, ni les rengaines extrémistes non plus.

Tout s'accumule, ce qui rend nos sociétés extrêmement complexes, de plus en plus fragiles, et par réaction, de plus en plus . . . perméables aux idées simplistes.

 

Or voici qu'une poignée d'idées simplistes est en train de gagner en importance parmi la population européenne.

Ces quelques idées, bien connues, n'ont rien d'original. Les analyser, les déconstruire et y répondre est un travail mille fois réalisé, mille fois recommencé.

 

En voici le noyau dur qui se dégage : "Les élites ont confisqué le pouvoir au peuple. Les politiciens sont corrompus, les migrants nous envahissent. L'Islam nous menace. L'Etat ne fait rien pour les pauvres".

Ces grands poncifs des extrémistes existent depuis longtemps. Mais ils reviennent avec force aujourd'hui. Et ils ont trouvé de nouveaux chemins pour accéder à une position dominante dans les débats.

Ces nouveaux médias,  ce sont principalement les réseaux sociaux ainsi que les pages Facebook. Et ce sont eux qui aliment les débats  des mouvements populistes.

 

Cette préoccupation pour les réseaux sociaux n'est pas anodine; on sait que c'est par là que des basculements improbables ont récemment eu lieu (Brexit, élection  de Trump). Y scruter les discours et les activités n'est pas une tâche futile mais devrait constituer une immersion indispensable pour ceux qui y voient un signal de changement d'époque.

 

Autrement dit, il y a dans la percée populiste actuelle à la fois du même et du différent.

Le même ce sont, ce sont les poncifs, les idées-clés. Le différent - et c'est le point de départ de cette introspection - serait à chercher dans la façon dont ces idées s'actualisent, retrouvent de la vigueur au voisinage d'un contexte particulier, se cristallisent dans un vocabulaire qui se met à faire écho.

 

Mais quelles sont les causes premières de la progression d'un climat appelant aux extrémismes et se caractérisant par le rejet des autres et le repli sur soi (nationalisme identitaire).

Il est clair que le néolibéralisme, en accentuant de façon dramatique les inégalités entre individus, en livrant ceux-ci à eux-mêmes dans une compétition exacerbée et une marchandisation de plus en plus grande de la moindre parcelle de vie, est le terreau dans lequel s'affaissent nos démocraties.

 

Pourtant la démocratie qui s'est faite colonisée par un libéralisme sans crin continue à avoir un bon fonctionnement. Quoique parler de bon fonctionnement peut paraître inexact.

Car c'est, au sens propre du terme, le seul système qui ne fonctionne pas. Il dysfonctionne en permanence et ce structurellement comme la vie elle-même ne cesse de négocier et de reconsidérer ses propres imperfections.

Pour avancer quand même, pour réactiver le vivant !

La démocratie est toujours une pratique, une pratique du vivant, de l'imperfection. Elle est toujours en tension et toujours à la recherche d'un équilibre difficile entre la liberté et l’égalité en usant de la technique des compromis successifs.

 

Si elle laisse trop de liberté, elle ouvre la porte à la menace, sous forme de chaos social en raison de l’irrationalité des hommes qui en veulent toujours plus, qui ne maîtrisent pas leurs désirs.

Si elle accentue le principe d’égalité, elle ouvre la porte à une autre menace, sous forme de mécontentement cette fois, en raison de la présence de l’autre craint, jalousé, envié. 

Oscillations périlleuses donc entre un collectivisme administratif et un libéralisme agressif, entre une démocratie molle et un totalitarisme déguisé.

 

Mais revenons aux inégalités en les considérant face à un discours néolibéral portant sur la pauvreté comme s'il s'agissait d'un phénomène absolu et non corrélée aux politiques économiques.

Le drame vient sans doute du fait que nos social-démocraties, sous l'emprise de l'idéologie néolibérale, n'ont pas perçu que ces inégalités ont changé de forme pour abandonner leur lien structurel de classes sociales et devenir beaucoup plus diffuses, individuelles, difficile à percevoir et par conséquent à mesurer.   

 

Nous somme devenus inégaux en fonction de divers biens économiques et culturels dont nous disposons et des différentes sphères auxquelles nous appartenons. Ces discriminations et dominations sont fort nombreuses, beaucoup sont fort invisibles, et nous devons les combattre sans relâche.

Il est infiniment plus simple, par exemple, de se sentir (encore) en démocratie, de  prendre la parole et d'être écouté quand on est un homme blanc, hétérosexuel, vivant dans une région favorisée, universitaire et bénéficiant d'un emploi stable.

 

Ainsi si les extrêmes progressent (à l'aide de politiciens populistes bien affutés), c'est bien parce que leurs idéologies, théorisée par des acteurs et des réseaux précis, profitent du contexte social et de clivages économiques (non appréhendés, non considérés, donc non résolus) pour  installer des récits d'exclusion, de rejet et de repli nationaliste.

Ces extrêmes peuvent insidieusement aboutir à des nationalismes autoritaires; nous le constatons avec évidence dans certains pays européens.

Sur Internet ces extrêmes s'organisent dans la lutte pour conquérir l'imaginaire culturel : rejet du système dans un cas et rejet à la fois du système et de l'autre (l'étranger) dans l'autre cas.

Les causes ainsi identifiées sont extérieures :  un néolibéralisme qui abîme l'humain par opposition à un libéralisme qui le prenait en considération, une activité délibérée et foisonnante de discours (parfois) haineux dans les sphères médiatiques.  

 

La réponse doit venir de la démocratie elle-même  en prenant le malaise à bras le corps si du moins elle veut survivre. Car tout en ne prenant pas pour autant la défense d'un statut néolibéral et austéritaire, la réponse ne vient pas en changeant les homme au pouvoir.

Car on ne peut pas mettre la démocratie et les populismes (à dérive de plus en plus autoritaire) sur le même plan.

Alors, que faire en tant que citoyens démocratiques face à des Etats qui peinent à donner des réponses ?

 

Penser. Faire l'autocritique de nos attitudes. et de nos discours, bien souvent sur la défensive. Aller sur le terrain au contact des gens dans la vraie vie qui s'écrit dans les réseaux sociaux. Trouver les mots justes, vrais et comprendre. Mais ne jamais exclure.

 

Tout cela est peut-être difficile, voire impossible individuellement.

Non pas si nous nous réinventons, nous aussi, une autre histoire, un autre mythe, un autre projet de société celui de la fraternité, troisième terme de la célèbre devise républicaine, si souvent oublié.

Car la fraternité ne fait pas l'objet de lois.

La fraternité s'incarne ou ne s'incarne pas. Elle est l'objet du faire.

 

Louis  Ledonne   

 

 

   

 

 

 

 

 

 

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