Dans la majeure partie des cas la qualité qualifie la relation entre un sujet et un objet.
Ce fut le grand apport de la philosophie de Gilbert Simondon que de conférer à la relation un statut égal à celui des entités qu’elle relie. « La relation a valeur d’être », avait-il l’habitude de répéter.
Cette formule est puissante. Elle indique que quand deux personnes sont liées, il y a en réalité trois êtres, les deux personnes ainsi que la relation.
Qu’une relation ait une existence, voilà qui modifie profondément nos grilles de compréhension. Nous n’en avons sans doute pas encore pris toute la mesure, habitués que nous sommes à interagir de façon binaire, d’une personne à l’autre, ou entre un homme est un animal.
Ainsi pour peu que l’on accorde une place à la relation, la configuration s’élargit ; cette relation n’est pas une abstraction logique, mais une entité qui a une existence irréductible aux êtres qu’elle lie.
C’est elle qui est le lieu de la qualité ; elle permet de faire droit à ce qui est central et constitutionnel. Bientôt un réseau s’ouvre, un système se laisse voir.
Dès que l’on sort de la binarité, c’est toute une multiplicité qui vient au jour.
La qualité ne peut donc jamais être pensée comme restreinte, elle doit s’ouvrir et se laisser penser comme une qualité élargie, relationnelle et systémique.
Ainsi elle permet d’appréhender autrement bien des réalités.
Soit, par exemple, un très beau tirage de photo. La galerie qui l’expose est connue pour soigner ses présentations, les accompagner de textes pertinents, adopter des maquettes d’un goût très sûr.
C’est de la belle ouvrage, dira-t-on. On voit à cet exemple que ce jugement concerne en réalité de très nombreux intervenants, comme le galeriste, le photographe, le graphiste, l’imprimeur et bien d’autres.
Mais ordinairement, la qualité qui est jugée est une qualité restreinte du produit fini. Or, à bien y réfléchir, cette qualité restreinte est insuffisante.
Dira-t-on que le résultat est de très bonne qualité si l’on apprend que le photographe n’a pas été rémunéré pour son travail ; que le graphiste a passé trois mois d’enfer, que le papier utilisé est un scandale écologique par la quantité importante de chlore qu’il contient etc . . .
La qualité restreinte n’est telle qu’avec de bonnes œillères. Pour peu que l’on regarde alentour, des dimensions qui avaient échappé au premier regard paraissent gênantes.
La qualité élargie quant à elle est plus exigeante, elle impose de considérer le système tout entier et pas seulement ses aspects les plus fonctionnels.
Le jugement de qualité n’y est plus local mais s’ouvre à d’autres dimensions, et, parmi elles, celles de la qualité de vie des êtres qui ont participé à la mise en œuvre de ce qui au départ avait été présenté comme étant de qualité et qui au fond n’était qu’une qualité apparente, restreinte, en relation à sa fonctionnalité immédiate.
Il faut passer d’une civilisation construite depuis la Modernité autour des qualités artificielles à une civilisation dont le but est d’assurer, grâce à ces mêmes qualités, la qualité de vie des êtres.
La maxime pourrait être : agis de telle sorte que la qualité de chaque être soit assurée et respectée ou encore : la qualité de vie prospère où prospère celle de l’autre.
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