Philosophie - Pourquoi tant de haine-refonder le contrat social, Louis Ledonne

 

A l’image de la peste de Camus, un virus invisible, mais hautement contagieux, vient symboliser et stigmatiser nos sociétés malades de leur chômage, de leur économie, de leurs représentants politiques, de leurs institutions, de leur verticalité, sur fond de manifestations citoyennes exprimées par les réseaux sociaux et dans la rue.

 

Le populisme est, dans beaucoup de nos pays démocratiques, la traduction politique tragique de cette situation malheureuse d’un peuple recherchant les voies d’une expression immédiate et directe. Le cycle infernal des radicalisations et des contestations est en marche. La violence insupportable impose son tempo et dicte l’actualité.

 

Notre erreur est de croire que la réponse est proprement politique. Le mal est si ancien, si profond, qu’il faut revenir au fondement du corps politique lui-même, à la société civile et à ses multiples mouvements et associations qui se sont manifestés avec la crise sanitaire.

 

En un mot, il faut revenir au fondement du contrat social ( Jean-Jacques Rousseau) qui ne se réduit pas à un simple contrat de gouvernement mais à un contrat en deux temps, dont le premier temps est l’association entre des citoyens qui se reconnaissent comme des individus libres et égaux, ayant la volonté de vivre ensemble et de construire en commun.

 

Sans cette citoyenneté de base, le contrat politique est hors-sol, découpé de la société. Alors que la société s’est longtemps incarnée dans le travail et ses promesses d’intégration et de progrès pour tous, il faut trouver les voies d’une nouvelle citoyenneté.

 

Car le travail ne fait plus le citoyen. Le contrat de travail ne consacre pas seulement un rapport de subordination. Et à l’heure actuelle, il devient toujours plus flexible, aléatoire, intermittent, précaire. Sa fragilité l’empêche de devenir le pivot central du contrat social. Le culte de la performance individuelle devient la règle, chacun étant sommé de s’instituer en auto-entrepreneur, responsable de sa vie et de l’échec ou de la réussite de ses projets.

 

Le travail parcellisé, émietté contribue par ailleurs à la perte de sens qu’une personne éprouve dans sa vie civique. Sans parler des inégalités qui se renforcent et qui deviennent de plus en plus illisibles par nos institutions. Les inégalités d’aujourd’hui ne participent plus à un système, en référence à des classes sociales bien typées. 

 

Nous sommes devenus inégaux en fonction de divers biens économiques et culturels dont nous disposons et des différentes sphères auxquelles nous appartenons. Inégaux « en tant que » salarié plus ou moins bien payé, protégé ou précaire, diplômé ou pas, jeune ou âgé, vivant dans une ville dynamique ou dans un territoire en difficulté, seul ou en couple, d'origine étrangère ou pas etc. . .

 

Avec cette perte de citoyenneté par le travail, c’est le socle fondateur et actif du contrat social qui se dérobe. D’où l’extrême défiance à l’égard des politiques qui croient encore qu’un simple contrat de gouvernement, promettant monts et merveilles, peut ressourcer la société.

 

Par ailleurs nous sommes rentrés dans une nouvelle ère, que l’on pourrait qualifier de quaternaire, basée sur la connaissance et de nouvelles technologies (numériques, biotechnologiques, écologiques etc . .). Dans cette nouvelle ère, le social devient la ressource majeure de reconnaissance et de production de richesses.

 

Il y a déphasage, rupture, entre un travail en pleine mutation et sa transcription par nos institutions politiques. Dans toute reconversion, nous devons mettre au centre l’impératif de justice sociale. Bien pensée, celle-ci peut permettre de recréer des emplois, de renouer avec le sens du travail tout en sauvegardant des conditions de vie authentiquement humaines.

 

L’Etat-providence doit être remodelé car il ne peut plus être décidé uniquement d’en haut ni par des « architectes extérieurs ».  Il doit résulter d’une co-construction et solliciter tous les acteurs de la démocratie (représentative, continue, intermédiaire, décentralisée).

 

Il est temps de retisser un lien de société dont la raison d’être est d’y inclure pleinement la fragilité. Peut-on imaginer qu’il ne restera rien de cette attention à l’autre, des manifestations d’entraide que l’épreuve pandémique aura fertilisé dans les familles, les quartiers, les entreprises, comme partout dans la planète, ce fameux « prendre soin de soi et d’autrui ».

 

L’heure n’est pas à la reprise, dans le repenser, le repartir, le relancer, le reconstruire mais dans le penser nouveau, avec comme autre préfixe qui s’impose le « co » (collaboration, coopération) et comme points cardinaux la confiance et la responsabilité.

 

Faire appel à l’intelligence collective pour redonner du souffle à nos entreprises - les nombreuses start-ups, initiées par des jeunes enthousiastes, sont un témoin de ce renouveau. Et loin, très loin des clichés d’une société atomisée du repli sur soi, nous devons développer une économie de la relation, du service, de la réciprocité, de l’échange des connaissances et du bien commun qui sert de référence.

 

Face à tant de haine et au risque totalitaire qui pourrait en découler, nous devons pallier à la verticalité défaillante des Etats par une horizontalité de nos relations dans tous les domaines (économique, social . . . ) et refonder le contrat social, premier étage du contrat politique.

 

 

 

 

 

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