Philosophie - Les lumières à l'âge du vivant, Louis Ledonne

 

L’élargissement de la sphère de notre considération à tous les vivants de notre planète, dont l’épanouissement et le droit d’exister limitent notre liberté, est le résultat d’un processus de transformation de nous-mêmes qui touche nos évaluations, nos émotions et les affects qui nous poussent à agir.

Au lieu de s’octroyer une souveraineté absolue sur la création et d’avoir un rapport de domination aux autres, l’être humain prend conscience de son appartenance à une communauté habitant une Terre qu’il partage avec tous les autres et, bien que l’incorporation de ce savoir prenne du temps, il en vient à se comporter de manière plus responsable et plus respectueuse.

 

Ainsi les « Lumières à l’âge du vivant » reposent sur une révolution dans la manière de se penser et de penser son « être avec le monde ». Elle exige que le sujet revoie de fond en comble la manière dont il habite la terre et cohabite avec les autres, qu’il s’interroge sur ce qu’il a dans son assiette et sur ce qu’il a le droit de faire ou de ne pas faire dans ses loisirs et avec son argent. Cette rupture implique de remettre en question tout ce qui a conduit à notre civilisation dans son organisation sociale et politique en nous demandant ce qui doit être protégé, complété ou rejeté et combattu.

Et avant de passer d’un modèle de civilisation dont on constate les contre-productivités vers un processus estimé à la fois plus rationnel et plus humain, les individus et les sociétés passent par une période d’instabilité : l’ effondrement des anciens repères fait parfois remonter, comme lors du retour du refoulé, tous les anciens conflits et les stigmates de blessures n’ayant jamais été réparées.

 

C’est là que des stratégies psychologiques de défense peuvent s’avérer être un obstacle à la transition écologique et à la lutte contre la démesure et la mal-mesure technologiques.

Pour sortir du modèle de développement destructeur qui est le nôtre, basé sur le schème de la « domination », nous devons rejeter les représentations dualistes et anthropocentristes qui sont colportées partout et inscrites dans nos mentalités et qui conduisent à l’érosion de la diversité, au réchauffement climatique, à l’impact écologique de la croissance démographique et in fine à « l’hubris » technologique.

Ainsi la question n’est plus de savoir de quoi il faut s’émanciper, mais comment on y parvient. Avec qui et contre qui on lutte quand on s’oppose à certaines normes et que, dans la vie quotidienne, on renonce à certaines pratiques ? Et comment parvenir à inscrire ces changements dans la durée ?

 

C’est pourquoi la conquête de notre autonomie est un processus qui est souvent déclenché par une crise existentielle, une transformation intérieure, qui ne conduit pas seulement à adopter une posture d’indignité,   mais à attester de notre inscription dans le monde, dans une communauté de destin existant entre tous les humains et qui nous permet ainsi d’élargir notre subjectivité.

 

La « considération », qui est inséparable de ce mouvement d’approfondissement de soi comme être charnel, relié par sa naissance et sa vulnérabilité aux autre êtres et au monde commun, rend le schème de la domination inopérant en lui substituant un autre imaginaire.

Alors que la domination est toujours liée à un rapport violent avec les autres et qu’elle s’enracine dans l’insécurité intérieure du sujet qui cherche à s’imposer et voit autrui comme concurrent, la considération désigne l’attitude globale ou la manière d’être propre à un individu véritablement autonome.  Elle modifie de l’intérieur la liberté, qui devient une liberté avec les autres (la responsabilité), et non contre eux ; elle promeut une société à la fois plus inclusive et plus écologique.

 

Dans une société structurée par la considération, la diversité et l’expérimentation sont essentielles, ce qui n’exclut pas que tout un chacun puisse avoir un horizon commun et des objectif à atteindre.

 

Ainsi selon Corine Pelluchon, l’objectif de ces nouvelles Lumières à l’âge du vivant est de lutter contre l’amputation de la raison qui a été réduite à un » pur instrument de calcul et d’exploitation » et de destituer le principe de la domination, domination des autres et de la nature à l’intérieur et à l’extérieur de soi qui traduit un mépris du corps et de la vulnérabilité.

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